— Ces voyous-là ont quelquefois le sens
de
l'observation...
Imogène le foudroya du regard et s'en alla. Quand elle apparut sur le trottoir, les curieux s'écartèrent sans un mot. Pour miss McCarthery, ce silence était pire que la plus cruelle injure. Que leur avait-elle donc fait ? Ne pouvaient-ils comprendre que c'est pour eux qu elle risquait sa vie ? Ah ! l'ingratitude des foules... En arrivant chez elle, l'Ecossaise trouva Mrs Elroy qui paraissait la guetter.
— Vous êtes revenue, Mrs Elroy ?
— Oui, je suis revenue, miss McCarthery, pour vous dire que je m'en vais.
— Vous vous en allez ?
— Je vous avais prévenue î J'ai appris ce que vous avez fait à cet homme dans les Trossachs...
— Mais c'est un criminel !
— Ma mère, elle disait : « Dis-moi qui tu fréquentes et je te dirai qui tu es... » Si feu le capitaine voyait ça...
— Si feu le capitaine voyait une idiote de votre espèce se mêler de ce qui ne la regarde pas et se permettre de juger ce qu'elle ne comprend pas, il se lèverait de sa tombe pour lui botter le derrière !
Mrs Rosemary Elroy manqua en avaler son dentier. C'était la première fois, en soixante-dix années, qu'on lui parlait sur ce ton. Elle eut envie de répondre, mais l'aspect d'Imogène l'en dissuada. Elle se contenta d'affirmer :
— Vous me devez deux livres et six pence. Miss McCarthery fouilla dans son sac.
— Les voilà et, maintenant, filez !
— Plus souvent que je resterais chez une
fille de
votre acabit !
A bout de nerfs, Mrs Elroy partie, Imogène monta dans sa chambre et pleura. Elle ne puisait aucun réconfort dans la certitude de la présence autour d'elle de son trio tutélaire : Robert Bruce, Walter Scott et son père. Devant la cruauté des vivants, les morts ne pesaient plus que leur poids d'ombre. La pauvre et dolente Imogène partait à la derive lorsque, soudain, une pensée troua la grisaille de son esprit, y mettant la plus douce, la plus chaude, la plus réconfortante des lumières : puisque ni Lyndsay ni Ross n'avaient écrit le billet doux, c'était donc Allan Cunningham son auteur !... Allan !... Cher Allan pour qui le cœur d'Imogène battait comme celui de Juliette pour Roméo... mais une Juliette qui eût été plutôt la tante que la contemporaine de son amoureux. Cette question de bulletin de naissance jetait bien un froid sur l'enthousiasme de la fille du capitaine de l'armée des Indes, mais elle se persuadait que le cœur n'a pas d'âge, surtout quand il n'a jamais servi. Allan, lessé par la vie, cherchait sans doute la quiétude auprès d'une compagne qui serait pour lui tout ensemble une mère, une sœur et une maîtresse. Miss McCartheiy se croyait capable d'assumer tous ces rôles. Le pauvre chéri devait s'ennuyer là-bas parmi les chanteuses et les danseuses de La Rose sans épines... Sans doute s'imaginait-il totalement oublié ? Cher grand fou ! Comme il allait être fier de son Imogëne quand il saurait la façon dont elle s'était conduite pour démasquer les deux espions qu'il prenait pour des amis. En attendant que sir Henry Wardlaw daignât réintégrer Les Moors, miss McCarthery estima que seul pouvait la protéger celui qui deviendrait son
Lorsque l'Ecossaise eut terminé la rédaction de ce qu'elle tenait pour sa première lettre d'amour, elle s'aperçut qu'elle ignorait l'adresse précise de son Roméo. Mais cela ne l'arrêta pas car, comme toutes les amoureuses, elle fit confiance au monde pour prendre soin de ses amours et, de sa haute écriture, elle inscrivit sur l'enveloppe :